Synopsis: En 1942, convaincus que l’Allemagne nazie est en train de développer une arme nucléaire, les États-Unis initient, dans le plus grand secret, le "Projet Manhattan" destiné à mettre au point la première bombe atomique de l’histoire. Pour piloter ce dispositif, le gouvernement engage J. Robert Oppenheimer, brillant physicien, qui sera bientôt surnommé "le père de la bombe atomique". C’est dans le laboratoire ultra-secret de Los Alamos, au cœur du désert du Nouveau-Mexique, que le scientifique et son équipe mettent au point une arme révolutionnaire dont les conséquences, vertigineuses, continuent de peser sur le monde actuel…

Réalisateur: Christopher Nolan

Année de sortie: 2023

Distribution:
Cillian Murphy : Robert Oppenheimer
Robert Downey Jr. : Lewis Strauss
Matt Damon: Général Leslie Groves
Emily Blunt : Katherine Oppenheimer
Florence Pugh : Jean Tatlock
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J’ai eu mes périodes « Nolan ». Memento, un chef-d’œuvre déstabilisant et indépassable. The Dark Knight, puissance du jeu d’acteur et symbolisme du super-héros poussé dans ses retranchements. Puis d’autres métrages qui m’ont moins marqué, comme le Prestique, Inception ou Interstellar qui m’ont un peu éloigné du réalisateur devenu à mon sens un poil trop prétentieux. Je n’ai pas vu Dunkerque et le fameux TeneT est dans ma liste des « films à voir que je ne verrai probablement jamais » (une très longue liste). Bref, j’ai conscience du talent de ce faiseur d’histoires mais je ne suis plus vraiment attiré par ses projets.

Et puis est arrivée la première bande-annonce d’un film biographique sur Robert Oppenheimer, « Le Père de la Bombe Atomique » (sacré titre…) qui annonçait pas loin de trois heures au compteur. À priori rien de transcendant. Et pourtant dès les premières images j’étais scotché. La gravité du sujet, le casting aux petits oignons, la force des dialogues, la mise en scène léchée… et Cillian Murphy qui semblait offrir une prestation hallucinante et hallucinée.

J’ai pu le visionner peu après sa sortie en salle mais ce n’est que plus d’un mois plus tard qu’enfin je peux prendre le temps de me poser pour parler un brin de ce film hors normes. Déjà, des trois heures, je n’ai rien vu passer. La tension qui pèse tout du long sur le récit et cette science métronomique du rythme fait qu’on ne s’ennuie pas une seconde, à condition de savoir pourquoi on est là.
En effet, pas une seule scène de morceaux de bravoure ou ne serait-ce qu’un peu d’action ne viendront perturber un métrage très verbeux qui peut parfois aussi s’écouter parler. Mais les dialogues sont concis et vont droit au but, c’est taillé au cordeau pour éviter la moindre fioriture.

Le rythme lui est assuré par un montage très rapide, presque frénétique. Plein de scénettes qui s’enchaînent sans temps mort. Mais le truc, c’est qu’on suit en fait trois temporalités et deux points de vue différents dans « Oppenheimer », et le tout pas forcément dans l’ordre chronologique à l’intérieur même de ces trois récits. Il faut donc constamment rester concentré pour bien suivre l’évolution des personnages, où se situe la scène et surtout quand.

- Le premier récit suit Robert Oppenheimer au cours de sa vie, de ses études à sa célébration lors d’une cérémonie à la Maison-Blanche en 1963. De loin l’aspect le plus biographique tel qu’on peut l’entendre habituellement.
- Le second récit lui revient spécifiquement sur l’audition du scientifique en avril 1954 afin de savoir si oui ou non il est toujours habilité à conserver son rang au sein de la recherche américaine, au vu de ses positions controversées et surtout de ses accointances au communisme. Cette simple formalité administrative va devenir en réalité une sorte de procès qui ne dit pas son nom, sans les formalités et autres ''inconvénients'' d’un véritable Palais de Justice...
- Le dernier lui est tout autre et à pour personnage principal Lewis Strauss, qui revient sur ses relations avec Oppenheimer lors d’une séance de confirmation au Sénat pour le poste de Secrétaire au Commerce. Les séquences détaillant cette histoire sont en Noir&Blanc et sont presque des pas-de-côté par rapport à l’intrigue centrale. Jusqu’à ce qu’on comprenne les différents liens au fur et à mesure des révélations.

Contre toutes attentes, de nombreuses péripéties viendront ponctuer ce qui à la base ne semble pas des plus mouvementé. Mais entre les intrigues politiques, les romances tumultueuses, les couacs scientifiques, les relations parfois tendues et même un éventuel espion dans la troupe à Los Alamos, il y aura clairement de quoi épicer la vie pas comme les autres de cet homme qui restera dans l’histoire de manière ô combien ambigu.

La mise en place des enjeux, les nombreux personnages, les nombreux lieux (avec quand même un endroit central qui finira par canaliser le tout) n’alourdissent pas un film pourtant dense. Cela grâce à une réalisation maîtrisée de bout en bout qui ne laisse aucune place au hasard ou à l’à-peu-près. On sent clairement toute la puissance de l’écriture sur un tel projet, et l’importance d’un montage déjà clairement établi à l’avance. On n’improvise pas un film d’une telle envergure. Christopher Nolan a su parfaitement coordonner toutes ses équipes pour qu’à la fin l’ensemble soit d’une cohérence absolue. Et surtout limpide pour les spectateurs, ce qui était de loin le défi le plus compliqué à relever.

Un travail de perfectionniste qui va se ressentir jusque dans le son, qui vraiment impressionne. Une expérience à nulle autre pareille. Et je ne parle pas que de l’emblématique séquence de la bombe, qui prend justement les attentes à contre-pied, mais bien de l’ensemble de l’habillage sonore du métrage, qui force le respect (le fameux cri de femme qui semble provenir de notre salle de cinéma et qui surprend tous les spectateurs, avant qu’on ne se rende compte qu’il vient bien du film : incroyable !). Si seulement tous les films pouvaient travailler cet aspect-là à ce niveau-là, ce serait dingue.

Il faut dire aussi que le casting aide beaucoup. Il n’est rien de moins que parfait. Cillian Murphy bien sûr qui transcende l’écran mais aussi Robert Downey Jr qui offre une prestation toute en ambiguïté remarquable. Matt Damon étonne dans la peau d’un haut gradé un peu bourru mais il colle parfaitement à son personnage. Tous les seconds rôles sont à fond et aucun ne fait défaut. Encore une fois, on sent le contrôle total et absolu de Nolan sur sa création et donc par conséquent sur ses comédiens. Notons des rôles féminins certes peu nombreux (comme souvent chez Nolan) mais forts, que Florence Pugh et Emily Blunt incarnent toutes deux avec brio.

Le point culminant du film reste sans nul doute l’essai de la Bombe qui certes est plutôt bien fait mais ce n’est pas tant l’explosion en elle-même qui m’a marqué que les réactions qui s’en suivirent. Scènes de liesse et nombreuses congratulations ont su me mettre mal à l’aise, comme si les témoins de ce terrible événement n’avaient pas la moindre idée, pas la moindre conscience de ce qu’il venait d’accomplir. Vraiment troublant, voire gênant.

On terminera ce rapide tour d’horizon avec l’éternel Albert Einstein. Sorte de bon génie aux apparitions toujours surprenantes, presque magiques parfois. Il survient furtivement dans le récit ici et là, prodiguant bons conseils et réflexions malicieuses, tout en conservant une pointe de gravité à la fois dans ses mots et surtout dans son regard.
Tom Conti l’incarne à merveille, lui donnant ce côté contemplatif et maladroit mais aussi tellement emprunt de sagesse, voire d’un certain caractère désabusé. Le dialogue final entre lui et Oppenheimer, concluant cette odyssée scientifique de près de trois heures, reste longtemps dans les mémoires. Sacré Albert...

 

L'Avis d'Amidon, le chat de la maison:


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